Tatiana Brillant entre dans l’histoire en devenant la deuxième femme à intégrer la cellule négociation du RAID, unité d’élite de la police nationale française. En nous confiant une page de son histoire, elle livre un vibrant hommage à la femme de sa vie, l’héroïne de l’ombre à laquelle elle doit son parcours d’exception : sa mère. Rencontre authentique avec une rôle modèle d’une génération de femmes qui assurent sur tous les fronts !
Faisons connaissance par un retour en enfance, comment avez-vous grandi?
J’allais dire « je suis une jeune femme », car je ne me vois pas vieillir J j’ai 47 ans aujourd’hui et je me sens comme à l’aube d’une nouvelle vie avec de nouveaux projets.
Aînée d’une fratrie de six enfants dont quatre garçons et une fille, nous avons grandi dans une famille aimante. Mes parents ont divorcé lorsque j’étais jeune adolescente, et nous nous sommes concentrés autour de ma mère, infirmière, aujourd’hui à la retraite.
Une femme absolument merveilleuse, courageuse, dotée de belles valeurs qu’elle nous a transmises et que nous essayons de transmettre à notre tour.
La bienveillance, le partage, le don de soi et le travail sont les valeurs fondatrices de mon éducation.
Ma mère nous a appris à ne pas avoir peur de nos rêves. Elle nous a toujours accompagnés sans jamais nous influencer, mais en nous permettant plutôt d’avoir confiance en nous et d’accepter de nous tromper. Elle ne m’a pas empêchée de tomber mais plutôt appris à me relever. Ce qui me laissait ainsi toujours l’opportunité de faire les choses par moi-même et d’apprendre. Je l’ai vue se priver de beaucoup de choses pour que ses enfants ne manquent de rien. Cela m’a appris la valeur des choses et la reconnaissance de ce que nous avions.
Très jeune déjà, le sport occupe une place importante dans ma vie. Après avoir testé différentes disciplines, c’est dans la gymnastique aux agrès que j’ai fini par m’épanouir complètement, jusqu’au niveau des compétitions. Des années plus tard, devenue monitrice professionnelle à mon tour, j’ai eu l’opportunité de conduire mes petites gymnastes à ce niveau aussi.
En tant qu’aînée, j’avais un devoir d’exemplarité envers mes jeunes frères et ma sœur. Notamment en travaillant très tôt, parallèlement à mes études. A 15 ans, professeur de gym. Plus tard, pendant mes études de droit, surveillante dans un lycée. A cette époque, j’ai également pris mon envol en louant un studio à quelques minutes de chez ma mère. Même si je passais les voir pratiquement tous les soirs, j’avais mon chez moi ! Ma famille est essentielle à ma stabilité. D’ailleurs, aujourd’hui encore, j’habite seulement à quelques kilomètres d’eux !
Comment êtes-vous arrivée au RAID ? Qu’est-ce qui vous a attiré vers ce métier ?
J’ai entamé mes études de droit pour devenir avocate. Mais en licence, alors que je lisais un article qui évoquait le travail des négociateurs au RAID, j’ai eu comme une révélation. C’était à propos de la prise d’otage d’une classe de maternelle à Neuilly en 1993. J’ai découvert un métier inconnu et absolument passionnant, résonnant fortement avec mes valeurs. A l’issue de mes études de droit, je décide finalement de passer le concours d’officier de police à la place de celui d’avocat.
Après deux ans d’école, j’intègre un service de sécurité public. C’est à ce moment que je réponds à un télégramme du RAID qui recherchait un négociateur. Ce fut épique car à l’époque, je ne remplissais pas les conditions administratives. De plus, le RAID ne souhaitait pas recruter de femme. N’ayant rien à perdre, je décide d’essayer ! J’ai écris directement au chef de l’unité pour lui demander d’accepter de me laisser passer les tests. C’est ainsi que j’intègre le RAID à 30 ans en 2004. J’y resterai 13 ans ! Ma plus fabuleuse aventure professionnelle ! Sauver des vies par la communication. Mettre en avant une solution pacifiée en réponse aux conflits…et quels conflits…! J’ai eu la chance de faire de la psychologie sans être psychologue, et de la police sans faire de répression.
Cette expérience m’a énormément appris sur l’être humain dans ce qu’il y a de plus extrême : sa folie, sa détresse, son désespoir, sa cruauté. Tout en gardant à l’esprit que la négociation pouvait me permettre d’aller bien au delà des apparences pour ne jamais fermer la porte au dialogue et à la résolution pacifique des crises que nous avons dû gérer. Ce fut une formidable école de la vie.
Après 13 ans d’exercice, vous offrez un nouveau tournant à votre carrière, cette fois-ci dans le secteur privé. Comment s’est fait le déclic ? Pourquoi avoir opéré ce changement ?
A l’époque il y a avait des contrats quinquennaux c’est à dire que nous devions faire trois fois cinq ans, puis quitter l’unité. Tenant à maitriser mon départ, je m’étais toujours dit que je n’irai pas jusqu’au terme réglementaire. Ma crainte majeure étant la perte d’un collègue en service, il fallait que je parte avant que cela n’arrive. Cependant, un événement « douloureux », d’un tout autre ordre, m’encourage au départ. Pressentie pour prendre la direction de la cellule négociation, ce que je souhaitais, mon chef de service de l’époque m’encourage plutôt à viser le poste de cheffe de service en passant le concours adéquat. Cela m’emmène donc à être sélectionnée pour participer à une session du Centre des Hautes Etudes du Ministère de l’Intérieur où des « femmes à haut potentiel » étaient choisies pour ce cursus. J’ai passé une session exceptionnelle, j’ai rencontré des femmes absolument remarquables, certaines sont devenues des amies. Par la suite, je passe donc le concours en prenant le soin de valider au préalable un accord avec mon chef de service : en cas d’échec, avoir la possibilité de me positionner à la tête du groupe de négociation. C’est là où j’ai commis une erreur. Je ne voulais pas passer le concours. Mais en acceptant, j’ai envoyé le mauvais message : ne pas suffisamment tenir au poste de chef de groupe. En n’osant pas refuser de passer le concours, j’ai manqué d’assertivité. Finalement je le rate, et mon chef ne valide pas les termes de notre accord : il ne m’a pas nommée au poste. Ce fut une véritable gifle pour moi. Une blessure que j’ai mis longtemps à cicatriser.
Cependant, une belle rencontre vient m’ouvrir une nouvelle porte : celle du privé.
A l’occasion d’un dîner, j’ai la chance de rencontrer la DRH monde du groupe Renault. Cette rencontre aboutit à mon recrutement dans cette entité. La période des attentats était derrière moi. Ce calme après la tempête en devenait presque anxiogène. Réalisant que c’était le bon moment, que je n’aurai pas le courage de le faire si l’unité devait de nouveau connaître une telle période, je me lance dans cette nouvelle aventure. Ce passage dans le privé m’a énormément appris. Aujourd’hui je fais le choix d’une nouvelle aventure en créant ma propre structure.
A quel moment de ce cheminement, devenez-vous maman ?
J’ai mon premier enfant en 2010, soit six ans après mon intégration au service. Lorsque j’apprends ma grossesse, j’ai tout d’abord été très heureuse. Mais très vite, j’ai culpabilisé. A l’époque, nous n’étions que trois à la négociation et nous avions un engagement très important. Je n’ose pas le dire avant les trois mois règlementaires. Lorsque je l’annonce à mon chef de groupe, j’étais très mal à l’aise, craignant sa réaction. Contre toute attente il fut très heureux pour moi. Sa bienveillance me fit réaliser que je n’avais aucune raison de craindre sa réaction. L’engagement au service était tel que j’avais le sentiment de ne plus le respecter. Peu après, mon ventre est sorti. J’étais tout à coup libérée.
J’ai continué à aller sur les interventions jusqu’à cinq mois et demi de grossesse avant d’être arrêtée, hospitalisée et alitée jusqu’à la fin. Ceci, à l’issue d’une négociation où j’ai dû tenir debout pendant sept heures pour obtenir la reddition d’un homme qui menaçait de se jeter dans le vide. Lorsqu’il s’est rendu, mon bébé était descendu et prêt à venir. Finalement et heureusement, j’ai été déclenchée deux semaines avant le terme.
Ma deuxième grossesse a été plus simple et plus sereine. A deux mois, je ne rentrai déjà plus dans ma tenue d’intervention. J’ai donc annoncé tout de suite ma grossesse et ai été arrêtée dans la foulée.
Par la suite, il m’a fallu négocier avec moi-même pour continuer à partir au coup de sifflet à l’autre bout du pays sans la culpabilité de laisser mes enfants tout-petits. Une fois accepté le fait que je ne voulais pas choisir entre mes enfants et mon travail, et après avoir mis en place une base arrière solide, je me suis apaisée et épanouie dans les deux rôles.
La lecture du parcours de Tatiana Brillant fait retentir le pouvoir de l’éducation sur les parcours de vie. En ces temps particuliers, on peut y trouver une lueur d’espérance pour appréhender le futur avec sérénité : agir à travers l’éducation des générations futures comme le fit sa mère, il y a un peu plus de quarante ans.