Jamais auparavant je ne m’étais autant sentie appelée par une photographie. J’avais comme l’impression que celle-ci me parlait et avait quelque chose à me révéler. En la découvrant, j’ai été attirée dans un premier temps par la petite lumière qui brillait dans l’obscurité de la scène, puis dans un second temps, mon regard s’est posé sur les visages d’enfants. J’ai alors vu qu’ils étaient les porteurs de cette petite lueur.

Couleur Nuit par Osvalde Lewat

Dès cet instant, j’ai voulu en savoir plus. Je suis donc partie à la rencontre de l’artiste à l’origine de cette œuvre pour comprendre comment elle s’y est prise pour capter d’une façon aussi intense et subtile la lumière de ces enfants. Qui donc est Osvalde Lewat, celle avec qui les enfants du Congo ont accepté de partager leur lumière ?

Osvalde Lewat est photographe et réalisatrice, autrice d’œuvres documentaires, dont plusieurs traitant de sujets sociaux et politiques ont été primées. Pour ceux qui ont la chance de la côtoyer dans son intimité, Osvalde Lewat, née à Garoua au Cameroun, est une chercheuse de lumière. J’ai eu la chance de la rencontrer ; elle s’est confiée à moi, dans l’intimité de son appartement décoré par ses soins avec les trésors qu’elle a ramenée des quatre coins du monde.

Nous sommes donc parties ensemble, au fil de notre conversation, sur les traces des enfants du Congo qu’elle a croisés sur son chemin de façon providentielle. Ces enfants avaient quelque chose à dire au monde, et c’est elle qui a été choisie, pour révéler la face cachée de Kinshasa et ses environs à travers leur regard.

« Je vais chercher la lumière où elle se trouve. »

Dès notre premier échange, j’ai été fascinée par sa discrétion qui contraste totalement avec les sujets durs qu’elle aborde à travers ses différents travaux. « Dans le silence on se dit beaucoup de choses. C’est ce niveau de proximité et de confidence que j’ai pu atteindre avec ces personnes rencontrées au Congo et qui m’a permis de réaliser ce travail ». Par ces mots j’ai compris que l’artiste s’efface pour laisser briller la lumière des personnes qu’elle photographie, afin que nous puissions à notre tour nous laisser illuminer.

 Fortuna est l’élément déclencheur de cette série de photos prises entre 2012 et 2015. « Elle avait entre 13 et 15 ans, je l’ai rencontrée dans ce lieu qu’on appelait le désert. Dans ce vieux cimetière désaffecté où la vie s’est reconstituée. Jardin maraicher pour les uns, lieu de partage pour les autres, ceux qui sont en marge de la vie tumultueuse de la capitale s’y retrouvent. » Osvalde Lewat y rencontrait la jeune fille et d’autres personnes familières des lieux. Puis un jour, Fortuna n’est pas venue au rendez-vous, ni les jours suivants. Qu’est-elle devenue ? Nul ne le sait ! Marquée par ses échanges avec l’adolescente, Osvalde Lewat décide alors d’immortaliser par son objectif toutes les personnes qu’elle rencontre au désert, pour garder une trace de ces moments uniques et extraordinairement enrichissants.

Elle qui au départ, comptait consacrer un reportage à la ville de Kinshasa, elle a revu son projet, bouleversée par ce qu’elle avait découvert dans les périphéries reculées de la ville.

« Je me suis rendue compte qu’il y avait une ville en parallèle réorganisée par des enfants à la tombée de la nuit ».

« Je ne suis pas venue prendre, j’ai attendu qu’on veuille bien me donner »

« J’ai mis deux à trois ans pour les photographier car je ne voulais pas être celle qui venait leur prendre quelque chose, je voulais être celle à qui on donne ». Dans cette démarche, Osvalde Lewat a su s’armer de patience pour établir une relation de confiance avec ces personnes. Elle me confiera plus tard que la ténacité et l’optimisme sont les deux mots qui guident sa vie.

Le don est également une démarche qui la caractérise. Sa générosité s’exprime de différentes manières et s’illustre particulièrement dans son travail artistique. C’est avant tout parce qu’elle sait se donner qu’elle a réussi à recevoir des personnes qui n’ont rien d’autre à offrir au monde que leur existence, leur essentiel.

Pour intégrer la communauté, elle est d’abord passée par les enfants. Dans un premier temps, Osvalde Lewat leur a confié l’objectif pour qu’ils puissent la prendre en photo. Les clés du trésor en mains, elle a pu entrer en immersion au point d’être intégrée comme l’une des leurs. « Quand ils ont accepté que je les photographie, je ne savais pas ce que j’allais faire de ces photos. Ce sont des visages, des rencontres que je voulais garder pour moi, dont je voulais me souvenir. »

Très vite, Osvalde Lewat a réalisé qu’elle ne pouvait pas garder ce secret pour elle toute seule : « Ce sont des personnes exceptionnelles, qui vivent dans la fragilité, dans la précarité mais qui ont une force de caractère incroyable. Des personnes qui se tiennent debout alors qu’ils sont dans un endroit où il n’est pas toujours très simple de vivre. Ils voient au-delà de ce que vous paraissez et vont fouiller à l’intérieur de vous. »

La photographie à l’origine de ma rencontre avec elle est le fruit de cette relation de confiance qu’Osvalde Lewat a réussi à tisser avec les enfants rencontrés dans le Katanga, une autre province du Congo. « Au départ, les enfants ne comprenaient pas pourquoi je m’intéressais à eux. Je leur ai montré des photos, ils les ont bien aimées. Puis je suis devenue comme un membre du groupe. Au fil du temps, ils ne faisaient même plus attention à moi. »

Pas de mise en scène, pas de lumière artificielle, ces photographies nous poussent à regarder l’essentiel. Comme un miroir, chacun y voit ce qui fait écho en lui. « Le plus important à travers les photographies de ces enfants, c’est que chacun puisse se raconter sa propre histoire. ».

En appréhendant ses sujets dans le respect de ce qu’ils sont, elle a réussi à capturer dans une authenticité unique, une part d’eux qu’ils n’auraient partagée avec personne d’autre.

Couleur Nuit de Osvalde Lewat

 Une mère engagée qui ramène la périphérie au centre des regards

Osvalde Lewat a réalisé un exploit jamais envisagé auparavant : exposer ses photos sur la place mythique du 30 juin à Kinshasa. « Je voulais les ramener dans le centre afin qu’on les voit. Je voulais que les habitants de Kinshasa s’arrêtent sur eux. » Derrière cette démarche il y avait aussi une volonté de redonner quelque chose à ceux qui l’ont accueillie parmi eux et qui lui ont tant apporté.

« Chaque soirée passée avec ces enfants était d’un enrichissement incroyable ». Ces enfants qui vivent dans des conditions difficiles mais dont émane une joie de vivre poussant n’importe qui à garder espoir même au milieu des heures sombres. Cette lueur d’espoir, elle l’a vue briller dans leur regard. « Chaque mwinda, la petite lampe artisanale, que ces enfants tiennent, est une lumière qui illumine mes jours. Cette lumière que j’ai trouvée dans ces enfants qui vivent dans les endroits les plus improbables de Kinshasa sont des moments de grâce. ».

C’est cette lumière qu’elle attise dans son foyer. Osvalde Lewat lève un discret voile sur son intimité de mère pour nous montrer comment ses rencontres ont un impact sur son quotidien avec ses deux enfants âgés de 12 ans et 16 ans. « Aller à la rencontre de la dureté de la vie, en tant que mère, ça me galvanise. » Les discussions ont une place importante dans la famille. « Ce sont des enfants que j’ai voulu conscients. Je ne voulais pas les élever avec l’impression que tout leur est dû, que le monde sera à leur pied, qu’ils sont plus légitimes que d’autres. » Cela s’exprime au quotidien par différents moments qui ponctuent la vie de famille comme par exemple le moment des gratitudes. Avant chaque diner, chacun doit trouver dans la journée ce pourquoi il doit être reconnaissant.

La transmission de leur double culture française et camerounaise lui tient également à cœur. « Je ne crois pas à la supériorité d’une éducation sur une autre, je crois à la complémentarité. Je ne crois pas à la supériorité d’une culture sur une autre, je crois qu’elles s’enrichissent. Ce sont des enfants à qui j’apprends la fierté du double héritage culturel qui est le leur. »

Osvalde Lewat parcourt le monde en profondeur pour en révéler l’éclat ; illuminés par son engagement, nous sommes ravis de vous passer ce « mwinda » des enfants du Congo, afin qu’à votre tour vous osiez poser votre regard sur l’essentiel.

Un grand merci à Irvin Makessa, pour avoir capturé avec son objectif, ces précieux moments dans l’intimité d’Osvalde Lewat.

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